Abus : l’Église appelée à entrer dans un mouvement de conversion et de prière

Paris Notre-Dame du 7 mars 2024

La Journée de mémoire et de prière pour les victimes de violence et d’agressions sexuelles au sein de l’Église, voulue par les évêques de France le troisième vendredi de Carême, a lieu cette année le 8 mars. Entretien avec Mgr Emmanuel Tois, évêque auxiliaire de Paris en charge de la coordination de la lutte contre les abus, qui présidera la messe célébrée à cette intention le 8 mars, à 18h45, à St-Germain-l’Auxerrois

© Charlotte Reynaud

Paris Notre-Dame – Que dit l’intitulé « Journée de mémoire et de prière » de la démarche voulue par les évêques de France ?

Mgr Emmanuel Tois – Faire mémoire, c’est d’abord manifester aux personnes victimes que l’Église de France se sou¬vient que leurs souffrances sont réelles, lourdes et qu’elles durent, souvent, très longtemps ; que les chemins d’apaisement, de réparation et de guérison sont longs, tortueux et parsemés de beaucoup d’embûches ; qu’on a le souhait – à la mesure de ce que les victimes acceptent et sans outrance – de vivre un temps de communion avec elles. Se souvenir, c’est aussi s’adresser aux chrétiens ; certains nous disent : « Dites-nous que l’Église ne se réduit pas à la question des abus, qu’elle propose des chemins de sainteté. » C’est évident, mais on ne peut pas se cacher derrière des horreurs commises ailleurs, ou se contenter de dire « on va tourner la page » : les victimes, souvent, ne peuvent pas, précisément, tourner cette page. Vivre cette journée, c’est aussi aider les chrétiens à rentrer dans un chemin sincère de connaissance et de compréhension sur cette question des abus. Quant à la prière, je vois trois intentions. Premièrement, et c’est une évidence, pour les victimes elles-mêmes, afin qu’elles reçoivent de Dieu sa grâce pour panser leurs blessures. Deuxièmement, prier pour la sainteté et la purification de l’Église, de tous ses acteurs et tous ses baptisés. Enfin – et je ne veux blesser personne, encore moins les personnes victimes –, prier aussi pour les agresseurs, car nul n’est réductible à son péché, aussi grave soit-il.

P. N.-D. – Cette journée n’est-elle pas une goutte d’eau dans l’immensité d’une peine ?

E. T. – Il ne faut pas éluder les limites que porte ce genre d’initiative. L’une d’entre elles serait, par exemple, de faire de cette journée une sorte de « paquet » qui masquerait la réalité de ce que vivent les victimes : chaque situation est unique et particulière. Une autre limite serait de se contenter, pour faire mémoire, de cette seule journée ; en choisissant le troisième vendredi de Carême et en l’intégrant au calendrier liturgique, l’Église signifie qu’elle souhaite s’inscrire sur le très long terme. Nous n’en avons pas fini avec les affaires d’abus ; inscrire les choses dans la durée, c’est se donner un espace de vigilance plus large. Vivre cette journée dans la communion de l’Église permet de parler de manière claire, d’emporter la conviction et donc d’élargir l’assemblée de ceux qui portent dans leur prière à la fois le souci des personnes meurtries, mais aussi l’Espérance de bâtir, sur un temps long, une Église sûre. Pour y arriver, il faut que l’Église tout entière entre dans ce mouvement de conversion et de prière, dont la force, même si on l’oublie trop souvent, est considérable.

P. N.-D. – Que vous inspire le choix d’un Vendredi de Carême, jour traditionnel du chemin de croix ?

E. T. – Deux figures me viennent à l’esprit : celle de Ponce Pilate – qui se lave les mains – et celle de Simon de Cyrène. Ce dernier montre, je crois, la juste attitude : celle d’une sincère compassion, sans outrance. Bien sûr, la croix n’est pas portée par le seul Simon de Cyrène ; bien sûr, la croix des abus n’est pas bien lourde pour ceux qui n’ont pas été abusés, mais en nous tenant à côté des victimes et en priant au cours de cette journée, nous manifestons, peut-être timidement mais avec beaucoup d’humilité, le désir de la porter avec elles. Et puisque le Carême nous conduit jusqu’à Pâques, et donc à la Résurrection, pro-messe de libération, j’aimerais formuler cette prière que je porte : « Puisse cette vie éternelle commencer déjà sur cette Terre et cette guérison promise être effective au plus vite. »

Propos recueillis par Charlotte Reynaud


Revoir la messe du 8 mars 2024 à Saint-Germain l’Auxerrois célébrée à l’intention des victimes d’abus dans l’Église

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