« Faire de la paternité une simple option n’est pas de la compétence du législateur »

Le Figaro – Lundi 23 septembre 2019

Tribune du père Laurent Stalla-Bourdillon, directeur du Service pour les Professionnels de l’Information et ancien aumônier des parlementaires.

Depuis plusieurs décennies, la figure paternelle est chahutée et elle pourrait même demain être niée par la loi. Pourquoi notre époque nourrit-elle une telle concurrence entre les sexes ? Pourquoi perd-elle de vue la valeur d’une communion amoureuse et durable entre l’homme et la femme, terre d’accueil de l’enfant ? Pourquoi ne voit-elle pas la violence en germe dans la déconstruction qu’opère l’irruption des techniques dans nos existences ? Lorsque l’artificialisation technique ou l’argent se substituent aux relations humaines, c’est toute l’humanité qui est fragilisée. Sans un retour à la compréhension de ce qu’est la nature humaine, son but ultime et ses conditions d’épanouissement, la procréation autonome ne sera le gage ni d’un progrès social ni d’une pacification des couples.

La connaissance humaine suppose, à la base, une différenciation. Homme et femme forment ensemble la matrice de toute connaissance à venir, lorsque l’enfant les désigne comme père et mère. Cet invariant ne dépend pas de nous. Nous n’y pourrons rien changer. En proposant que la complémentarité des sexes soit contournée dans la conception artificielle d’un enfant, et que cet enfant puisse être légalement privé d’un père avec la PMA (puis, à terme, d’une mère avec la GPA), la future législation fera l’impasse sur un processus d’apprentissage décisif : la conversion de la force (l’homme) en service (le père). Ainsi la paternité n’est pas tant une affaire de biologie ou d’éducation que d’une dynamique de transformation où le « grand » se met au service du « petit », le « fort » au service du « faible » (l’enfant). La paternité n’est donc visible qu’en action et non de manière statique ou attitrée : il y a plus dans un père qu’un géniteur ou qu’un éducateur, il y a un témoin. L’homme devient père en ce qu’il sert le petit enfant que sa mère lui donne et il honore ainsi ce don. Rappelons qu’être humain est depuis toujours « être fils de … ». C’est ici que se joue la perte majeure de la révolution technicienne.

Cet apprentissage délivre l’enfant de la loi des seuls rapports de force. L’enfant est élevé au-dessus de la condition d’animalité, lorsqu’il reçoit dans son cœur la révélation du chemin par lequel il vient au monde, pour se mettre lui-même au service de la communauté humaine. En somme, c’est à condition d’avoir vu - même inconsciemment - en son père la réalité d’une mise de soi au service de l’autre - même imparfaitement - que l’enfant accède à sa propre vocation humaine. La découverte de la paternité est une fantastique ressource ayant une réelle opérabilité politique car elle prépare la transformation de la force en service. N’est-ce pas ce dont nous avons tant besoin ?

Si notre nouvelle législation renonçait à confirmer la place irremplaçable d’un père et de son rôle pour tout enfant dans le cadre de son développement (hormis dans le cas de sa disparation accidentelle et involontaire), elle exposerait la société à devoir stagner dans des rapports de force primaires. Il semble présomptueux de dire qu’il n’y a pas de préjudice à être conçu sans bénéficier demain d’un soutien paternel. Ce ne sont pas les qualités des parents qui sont en cause, mais la signification de leur rôle spécifique dans le développement psychique, affectif et social de l’enfant. La défaillance de quelques-uns n’invalide pas la fonction irremplaçable des pères. Si la technique peut se substituer à l’union sexuelle des parents, elle ne peut assurer l’effort exigeant d’humanisation dont les relations différenciées sont une clé essentielle. La signification de la paternité apparaîtra d’autant plus nécessaire aux générations futures qu’elles auront été abusées par son caractère prétendument arbitraire.

« Élevé » ainsi par un père, l’enfant reçoit dans la mémoire de son corps que l’humanisation est le passage de la force dominatrice à la force servante. Le père, détenteur d’une force masculine, dévoile un visage de serviteur, et la vérité de la force est alors manifestée au niveau proprement humain : c’est l’amour. Il n’est ni interdit ni impossible de rappeler aujourd’hui que la famille reste fondée sur le couple « homme-femme » pour de bonnes raisons. Cette structure anthropologique ne dépend pas des capacités affectives ou éducatives des parents. Elle échappe même le plus souvent à leur conscience, mais elle explique pourquoi l’humanité est tout à la fois masculine et féminine, don de soi et accueil de l’autre.

Notre législateur, emporté par les vents dominants du marché des biotechnologies, va révolutionner le droit de la filiation sans avoir nécessairement découvert ce qui se joue dans les relations intrafamiliales. De même qu’en mer la tempête des surfaces n’affecte pas les courants des profondeurs, l’action législative reste sans effet sur les invariants anthropologiques. Elle les dissimule seulement… et momentanément.

Chacun devrait alors faire l’effort de comprendre et de partager ce qu’offre la paternité comme capacité de conjurer la violence. Chacun peut s’interroger sur le type de société que nous préparerions si nous réduisions l’être humain à sa matérialité génétique. Chacun pourrait découvrir combien l’expérience de la conversion de la force en service est un trésor de la paternité et la promesse de notre fraternité.

Dans le même temps, les violences conjugales subies par tant de femmes témoignent de la difficulté d’éduquer à l’harmonie des couples et à la complémentarité des sexes. Il se pourrait que nous déplorions les maux dont nous chérissons les causes. Nous disposons réellement de ressources cachées qu’il nous faut, sans tarder, apprendre à considérer.

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